Menace ou opportunité, où en est l’auto-édition en France aujourd’hui ?

Menace ou opportunité, où en est l’auto-édition en France aujourd’hui ?
25/10/2018
Actualités du livre
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On ne peut qu’applaudir Arnaud Nourry quand, interrogé par Le Monde sur les enjeux de l’édition de demain, il déclare que “L’auto-édition ne constitue pas une menace”. Autrefois crainte et méprisée par certains, parfois vue comme l’arme d’Amazon, l’auto-édition fait désormais aussi parler d’elle en bien et a gagné sa place au sein de l’industrie de l’édition. De nombreux auteurs la choisissent, y trouvant, au-delà de revenus importants une liberté qu’ils n’ont pas ailleurs et l’opportunité d’accéder à un lectorat quand des éditeurs ont refusé leurs manuscrits. Quant aux éditeurs, la suite de l’interview d’Arnaud Nourry l’atteste, ils prennent conscience que ce nouveau mode de publication est pour eux un vivier de talents. Alors, menace ou opportunité, où en est l’auto-édition en France aujourd’hui ?

Trop chère, dangereuse… les reproches faits à l’auto-édition sont-ils justifiés ?

Les très vives réactions des différents acteurs du livre à l’annonce de la présence d’un livre auto-édité dans la sélection du Renaudot sont révélatrices : l’auto-édition inquiète. Est-ce justifié ? Une auto-édition respectueuse de la chaîne du livre est-elle possible ?

En France, cette activité souffre parfois d’une mauvaise image, car elle est souvent confondue avec l’édition à compte d’auteur. Pourtant, les deux pratiques n’ont rien à voir. L’essence de l’auto-édition est la liberté laissée à l’auteur : il ne cède ses droits à personne et assure seul l’édition et la publication de son livre. Il garde ainsi un contrôle total sur son œuvre et contrôle l’intégralité de la chaîne du livre. Contrairement à l’édition à compte d’auteur ou d’éditeur, où l’auteur cède ses droits.

La voie de l’auto-édition peut être d’autant plus tentante que l’on dispose déjà d’une base de lecteurs fidèles… Il n’est donc pas surprenant qu’une auteure comme Samantha Bailly tente ce mode de publication pour son nouveau roman, mettant en avant son envie de vivre une expérience d’édition différente.

Mais alors, pourquoi de si vives polémiques, que ce soit autour de Marco Kosakas ou de Samantha Bailly ? Car ces auteurs ont un autre point commun : ils ont d’abord choisi l’auto-édition avec KDP (Amazon). À l’heure où le site libraire – devenu tout à tour auto-éditeur, éditeur, imprimeur – occupe de plus en plus de place dans la chaîne du livre, on peut comprendre les craintes des libraires comme des éditeurs.

D’une part, les libraires sont totalement exclus : ils ne peuvent pas vendre les livres auto-publiés via KDP, ni en numérique, ni en papier. D’autre part, pour les éditeurs, c’est une forme de désaveu : les auteurs pourraient donc se passer d’eux, de leur travail éditorial, de la promotion qu’ils font autour des livres, etc.

Si on s’en tient à ces polémiques et à ce qu’on lit partout, auto-édition et édition à compte d’éditeur seraient donc irréconciliables. C’est une erreur ! En réalité, la peur qui agite le monde du livre n’est pas celle de l’auto-édition mais bien celle d’Amazon. Les éditeurs comme les libraires français travaillent très bien avec des auteurs auto-édités et des sociétés d’auto-édition : Librinova en est la preuve.

L’auto-édition fera-t-elle entrer l’édition dans le 21e siècle ?

Au risque de décevoir les oiseaux de mauvaise augure, l’auto-édition ne va détruire ni l’édition, ni la librairie… elle est même l’outil qui peut permettre à ce secteur de continuer à évoluer et à se moderniser.

Pour les auteurs, l’auto-édition est une possibilité d’accéder à un lectorat sans avoir besoin de la validation d’un éditeur. C’est aussi un espace de liberté : pour publier des livres différents de ceux qu’on publie en édition traditionnelle, pour faire des expériences, pour s’affranchir de certaines contraintes de l’édition… Par exemple, certains auteurs dit « hybrides » publient non seulement chez leur éditeur habituel mais aussi en auto-édition afin de pouvoir sortir de nouveaux ouvrages plus régulièrement – l’éditeur acceptant maximum un titre par an. Le tout en bonne intelligence avec leur maison d’édition.

Pour les lecteurs, c’est la possibilité d’accéder à toujours plus de livres – dont des ouvrages qu’on ne trouve pas forcément chez les éditeurs « traditionnels » et, pourquoi pas, de contribuer à faire émerger de nouveaux auteurs.

Pour les libraires, l’auto-édition permet de vendre plus de livres et d’animer leurs librairies. Aujourd’hui, de nombreuses solutions d’auto-édition distribuent les livres de leurs auteurs non seulement sur Amazon et Kobo mais aussi sur tous les sites libraires et dans les librairies physiques grâce à l’impression à la demande. En outre, pour de nombreux auteurs auto-édités, rien n’est plus satisfaisant, ou plus efficace pour la promotion de leur livre que l’organisation d’événements et de signatures avec leur libraire de quartier.

Une auto-édition soucieuse de respecter le métier des uns et des autres et d’en être complémentaire se développe en France.  Il existe des structures à taille humaine, pour lesquelles la relation avec les auteurs et leur suivi a autant d’importance que pour un éditeur. Ce n’est pas parce que nous « digitalisons » la chaîne du livre que nous ne respectons pas le travail des auteurs, des libraires et des éditeurs, bien au contraire.

Aussi, dans une industrie toujours plus concurrentielle et attaquée par des géants d’envergure mondiale, nul doute que les acteurs traditionnels du livre gagneraient à soutenir les solutions d’auto-édition « à la française ».

par Charlotte Allibert, co-fondatrice de Librinova