Écrire des dialogues : comment transcrire la langue parlée ?

Écrire des dialogues : comment transcrire la langue parlée ?
27/01/2021
Conseils pour écrire un livre

Traductrice littéraire de formation, lors de la rédaction de mon premier roman Le Chant de la sauterelle, qui met en scène des personnages jeunes aux conversations nombreuses, je me suis longtemps interrogée sur la manière de transcrire la langue parlée. Je souhaitais non seulement que le lecteur ait l’impression d’entendre — et non de lire — ma jeune narratrice lors de ses monologues intérieurs mais je désirais également qu’en lisant les dialogues il visualise les scènes aussi clairement que dans un film. Je me suis donc posée la question suivante : comment écrire de bons dialogues dans une langue qui soit vivante et moderne tout en étant lisible ? C’est avec plaisir que je partage avec vous le fruit de mes recherches qui j’espère vous inspirera.

    En quelques titres:

  1. Un défi de taille : la prononciation du français
  2. Les marques d’oralité communément admises
  3. Quelques innovations moins courantes
  4. “Sérieux, ch’peux pas !” : une écriture du futur ?
  5. Ce que les marques d’oralité et le jugement que l’on porte sur elles nous apprennent

Un défi de taille : la prononciation du français

Avant même de se pencher sur le contenu des dialogues qui en soit implique un grand travail sur la langue dans la mesure où les conversations “réelles” sont souvent répétitives, peu efficaces, parsemées de tics de langage et plus ou moins grossières selon les interlocuteurs, il se pose un problème majeur : la prononciation.

Le manque de correspondance entre l’écrit et l’oral

En effet, la prononciation du français, en particulier si l’on parle vite — ce qui est souvent le cas dans les dialogues — s’éloigne fortement de la langue écrite. Si l’on décide d’être strictement fidèle à ce que l’on entend, on risque de tomber dans une écriture semi-phonétique fastidieuse à lire du type :

“M’sieu, chui pas en forme“ , “T’as qu’à mieux opserver”, “Tu t’souviens d’l’anegdote que nous z’a racontée ced’dame?“, “mouais”, “Quant-est-c’qu’on s’pieute ?”, “Comme y sont longs tes ch’feux”.

Une correspondance exacte entre l’oral et l’écrit est manifestement lourde et il faudrait par ailleurs créer tout un système de transcription qui ait une logique propre et qu’un lecteur puisse s’approprier sans trop de difficultés. Ainsi, un langage à juste distance de la transcription purement phonétique et de l’orthographe normée semble le plus indiqué.

Mais où situer cette frontière, comment allier lisibilité et vraisemblance pour écrire un bon dialogue ?

Les marques d’oralité communément admises

Pour répondre à cette question, observons les procédés qui sont communément admis par les lecteurs à travers l’étude de quatre romans contemporains mettant en scène des personnages jeunes de classe populaire ou moyenne s’exprimant dans un langage familier. J’ai retenu les ouvrages suivants : Hadrien Bels, Cinq dans tes yeux, L’Iconoclaste, 2019 ; Maylis de Kerangal, Corniche Kennedy, Gallimard, 2010 ; Juliette Arnaud, Maintenant comme avant, Belfond, 2019 et Nicolas Mathieu, Leurs enfants après eux, Actes Sud, 2018.

Au sein de ce corpus, nous remarquons les conventions ci-dessous, observables par ailleurs dans de nombreux romans :

  • l’ellipse de il dans il y a et il faut que : “Faut que j’organise tout ça” (Bels, p.11), “Ah oui, y a quand même parfois une justice” (Arnaud, p.18)
  • l’absence du ne dans la négation ; “On va pas y aller à la nage” (Mathieu, p.17)
  • l’élision systématique du u dans le pronom sujet tu suivi d’un verbe commençant par une voyelle : “T’as ramené ta famille, Stress ?” (Bels, p.65)
  • la forte présence d’interjections : “hé !”, “oh”, “hey”, “ah”, “ben”, “bah” dans l’ensemble du corpus
  • la présence d’onomatopées : “Pfff” (Mathieu, p.105), “splash, wooow!” (Kerangal, p.30), “et biiiiim” (Arnaud, p. 19), “le pschiiiit” (Arnaud, p.102) ; “Rhaaa” (Mathieu, p. 264)
  • et l’ellipse ponctuelle de mots, syllabes ou voyelles : “s’te plaît” (Bels, p. 68), “m’man” (Mathieu p.68), et “v’là les condés” (Kerangal, p.109) ou encore “des p’tits cons y a pas à dire” (Kerangal, p.49)

Un auteur pourra ainsi avoir recours à ces procédés pour écrire un dialogue en étant sûr de ne pas mettre son lecteur en difficulté.

Quelques innovations moins courantes

Mais s’il souhaite rendre sa langue plus orale, plus vivante, et donc intensifier l’effet de réel et donner de l’épaisseur à ses personnages, voici quelques innovations moins courantes proposées par ces mêmes auteurs :

  • la duplication de voyelles chez Kerangal : “wooow” (p.30), “ouaaaaaahhhh” (p.28), “arghhhh la môôôrt” (Kerangal, p.31), phénomène moins présent chez Mathieu ““Ouaaah, c’est bon, on fait rien de mal” (p.82) et Arnaud “Et ouiiiii” (p.118)
  • la duplication de signes de ponctuation chez Bels : le point d’interrogation (5 occurrences) : “Qu’est-ce qui t’arrive espèce de gros lard ???” (p.66), et le point d’exclamation (19 occurrences) : “Donne-moi une cigarette !!!” (p.74)
  • la transcription de la chute du l dans ils chez Bels avec la transcription de la liaison le cas échéant : “Y z’ont niqué ma Versace” (p.108), “Y z’avaient pas de vie “ (p. 64), “Les Arabes, y z’ont un truc avec les oiseaux” (p.66). Toutefois, on ne relève que sept occurrences de cette orthographe dans le roman.
  • plus rare, la transcription du phénomène dit d’assimilation(1) en phonétique qui apparaît uniquement dans la proposition “Je ne sais pas” chez Arnaud et seulement deux fois : “Chais pas. On était au bal la semaine dernière” (p.85) et “Mais chais pas, moi, t’es chiante, je me souviens pas” (p.87) et qui, sauf erreur de ma part, est absent dans le reste du corpus.
  • la transcription de la chute du e dans les pronoms sujets et objets : “quand j’l’ai trouvé” (p.162), “j’l’ai serrée” (p. 36), “ tu m’reparles comme ça et j’t’éclate la gueule” (p.18) apparaît chez Kerangal mais de manière très sporadique. Phénomène également rare mais présent chez Bels : “J’vous ai pas dit qu’il fallait bouger plus tôt ?” (p.110), “Qu’est-ce qui s’passe dans l’espace ?” (p.131).

Ces deux derniers phénomènes (appelés respectivement assimilation totale et chute du e caduc en phonétique), de part leur présence très minoritaire, ne font manifestement pas partie des conventions alors qu’ils sont tout aussi répandus que l’élision du u dans tu qui est parfaitement acceptée. En effet, “Tu m’dis ce que t’en penses” ou “ch’pense” sont des prononciations très courantes à l’oral lorsque ces phrases sont prononcées rapidement et en particulier chez les jeunes.

Alors pourquoi sont-ils moins répandus ?

“Sérieux, ch’peux pas !” : une écriture du futur ?

La chute du e caduc rend-elle la lecture plus fastidieuse de part la forte présence d’apostrophes qu’elle entraîne ? Ou bien, estime-t-on qu’une personne de langue maternelle française fera automatiquement ce type d’ellipses sans en avoir conscience, et donc qu’elle est en quelque sorte superflue ? Dans ce cas-là, cet argument vaudrait pour l’ensemble des modifications opérées lors de la transcription de la langue parlée.

Quant à l’assimilation, est-elle trop choquante d’un point de vue orthographique ? Ou ce phénomène, souvent peu perçu par les locuteurs de langue maternelle française, n’apparaît-il pas assez souvent pour qu’il vaille le coup d’être transcrit ?

Ou peut-être leur usage se développera-t-il à l’avenir. Entre nous, « chais pas » ou, mes bien chers amis, « je ne sais pas ».

Ce que les marques d’oralité et le jugement que l’on porte sur elles nous apprennent

Gardons un œil – et une oreille – sur la transcription de la langue parlée contemporaine qui nous invite à nous interroger sur la perception que nous avons de notre propre langue, de notre rapport à l’écrit mais également sur la manière dont nous percevons la langue parlée en fonction de l’origine socioculturelle du locuteur. À cet égard, il me semble que les jeunes de classe sociale moyenne supérieure s’expriment d’une façon semblable aux jeunes de classe populaire lorsqu’ils sont entre eux. Néanmoins, je ne suis pas sûre que leur langage soit affecté d’autant de marques d’oralité dans la littérature contemporaine. Comme s’il fallait avoir raté son bac pour dire “Ouais, chais pas”. Il ne s’agit là que d’une impression qui mériterait un nouveau travail de recherche et un corpus plus large afin d’être confirmée ou infirmée.

Somme toute, la leçon que nous retenons de ces auteurs concernant la transcription de la langue parlée est qu’un brin d’innovation au bon endroit, et sans excès, permet d’écrire de bons dialogues d’une remarquable vivacité et modernité.

Pour ma part, j’ai accueilli avec une joie particulière les commentaires des lectrices et lecteurs qui mettaient en avant la vitalité et l’authenticité de la langue dans mon récit, question qui, vous l’avez compris, me tenait très à cœur !

Et vous, en tant qu’auteur, quelles marques doralité vous séduisent ? Auxquelles êtes-vous plutôt réfractaire ?

 

(1) Dans la phrase « Je sais pas », les consonnes « s » et « p » sont dites sourdes car elles n’impliquent pas la vibration des cordes vocales. La consonne « j » est dite sonore car elle implique la vibration des cordes vocales (vous pouvez placer un doigt sur votre pomme d’Adam pour constater la différence). On dit qu’il y a assimilation, et dans ce cas précis on parle d’assourdissement, dans la mesure ou les consonnes « s » et « p » influencent la prononciation de « j » qui assimile le caractère sourd de ces dernières, et se transforme donc par le son « ch » qui est l’équivalent sourd du son « j ». En effet, la seule différence lorsque l’on prononce ces deux consonnes est la vibration des cordes vocales. L’assimilation se retrouve dans la prononciation de plusieurs mots, par exemple : « ch’fal » pour cheval, ici c’est le caractère sourd du son « ch » qui modifie le caractère sonore de « v » qui se transforme donc en son équivalent sourd « f ». Autre exemple courant : « Opserver » pour « observer ».

Maëlle Audric